jeudi 4 janvier 2018

Philippe Jaenada, La serpe, Editions Julliard, Paris, 2017.



Philippe Jaenada, La serpe,
Editions Julliard,
Paris, 2017.

Fin octobre 1941, en pleine période d'occupation, on retrouve dans le château d'un petit bourg proche de Périgueux, Escoire, le père d'une grande famille locale, assassiné sauvagement à coups de serpe, le crâne défoncé et le corps lacéré. Dans les pièces attenantes à la chambre où se trouve le premier cadavre, gisent deux autres corps, tout aussi mutilés: ceux d'une grande tante et de la bonne. Ce bain de sang totalement inédit dans ce petit coin de France que rien ne destinait à un tel acharnement meurtrier, choque profondément l'opinion publique. L'affaire prend une dimension nationale puisque l'homme tué est un notable proche du gouvernement de Pétain, mais qui commençait à s'en démarquer. Les spéculations vont bon train: on accuse Pétain, le gouvernement français en fuite en 1940 et même De Gaulle; l'assassiné aurait en sa possession quelques documents compromettant sur tous ces gens.

Mais très vite, l'accusation va se porter sur le fils turbulent de cette famille: Henri Girard, seul rescapé de la tuerie et que tout accuse: ses relations tumultueuses avec son père, l'héritage qui lui est destiné, l'argent qu'il dilapide dans les plaisirs de la chaire, la haine qu'il éprouve envers sa tante et surtout les indices laissés sur place et les témoignages accablants. Immédiatement, le jeune homme est incarcéré, les quelques temps qu'il passe en prison jusqu'à l'ouverture de son procès le font terriblement souffrir. C'est la défense magistrale d'un avocat de l'époque, véritable star du barreau, qui va mener à l'acquittement du jeune homme. La fuite de celui-ci en Amérique, sa vie mystérieuse de quasi-trafiquant sur place, son métier de transporteur de produits dangereux (nitroglycérine), son retour dans les cales d'un navire d'où il mettra sur papier son histoire participeront encore plus à faire de lui un personnage énigmatique.

On l'aura compris, les premières pages qu'il rédige lors de son retour clandestin en Europe, sont celles du Salaire de la peur, film au grand succès, qui rendra célèbre son auteur. Car Henri Girard est plus connu sous son pseudonyme: Georges Arnaud, auteur d'autres best-sellers et qui prendra la plume dans les colonnes de divers journaux pour défendre les causes perdues dans les années 60 et 70, notamment les membres du FLN et les autres victimes d'un système qui le dégoûte.

Le second avocat que va trouver Georges Arnaud, à titre posthume cette fois, c'est précisément l'auteur de l'ouvrage dont nous sommes ici en train d'en faire la critique.Car La serpe, c'est aussi l'histoire du roman lui-même: tout en se plongeant dans les archives de cette affaire et en rédigeant cette sorte de chronique criminelle, Philippe Jaenada nous emmène avec lui dans son projet, celui d'écrire l'histoire de ce meurtre et progressivement d'en réhabiliter son présumé coupable. En décortiquant rapport  après rapport, correspondance après correspondance, témoignage après témoignage, Jaenada fait ressortir toutes les incohérences du procès, les erreurs de l'enquête, ses failles et fait resurgir l'incompétence crasse de certains policiers et du juge qui ont travaillé sur l'affaire.

Sans aucun doute pour Jaenada, Henri Girard ne peut être coupable d'un tel crime, et il le prouve dans toute la deuxième partie du livre; glorifiant le fameux avocat pour avoir évité à Henri Girard d'être la victime d'une terrible erreur judiciaire. Le roman se termine en apothéose quand son auteur en arrive à supposer l'identité du véritable criminel.

Plus qu'un roman, c'est une véritable plongée dans un travail archivistique, quasi historique, de nous livre ici Jaenada. Ses nombreuses digressions en exaspéreront quelques-uns, mais à notre sens, elles participent au suspens et concourent à l'explication fine de son travail. Un bel ouvrage qui donne envie de lire les autres auxquels il fait de nombreuses références.



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